Mais là l’oratrice se tait sur la scène. Le trou dans sa voix prend tant de place que ça nous intrigue. D’où que l’on était, on revient à elle, qui reprend finalement :
Notre protagoniste s’époumone.
Elle peine, dans le désordre sauvage du monde, à errer d’une clarté suffisante, et surtout singulière.
À ce moment précis de l’histoire, la vie, pour Alma, se tisse de dilemmes strictement. Sent-elle que son quotidien se déploie dans une pensée intriquée, qui ne lui appartient pas tout à fait. Chaque choix et action qu’elle soupèse lui semble dangereuses, inefficaces.
Effarouchée, Alma, à force des jours, devient fielleuse devant la vie qui, de l’extérieur, la traque ; elle formule ça comme ça, une fois, à une amie de confiance.
Mais Alma peut — c’est à sa portée — prendre des décisions qui lui ressemblent, c’est-à-dire se tenir droite, avancer par ce monde de toundra qui la circonscrit et se laisser submerger par l’idiosyncrasie jusqu’ici ténue en elle.
Pour s’y faire, elle se tourne vers sa famille — et j’éveille votre attention à ce que ce mot entretient d’indétermination ; que signifie, précisément, la famille ?
Pour notre protagoniste, la famille est un monde à part, unique, caractérisé par ses ressources vivifiantes. La composition de ses membres importe assez peu.
Ce qui compte, plutôt, c’est la faculté de cet univers à renvoyer, lorsqu’on le sollicite, des poussées singulières. Donc, monde de puissances ; mais aussi fragile, et on se doit de l’architecturer et de le préserver, au mieux de nos capacités. Autrement, on le perd, et, d’un même coup, un certain ressort du corps.
Un jour, dans un café, Alma raconte à cette même amie de confiance :
« C’est pour moi, la famille, un travail ; un lieu d’effort et d’amour. Ça va ensemble.
L’un et l’autre n’y suffisent pas seuls ; la famille ne se crée pas sur le coup de son mot très simple, ni se forme à partir du sang qu’elle distribue ;
Elle s’engendre par la force croisée de l’effort, de l’amour et des choix, parfois difficiles à émettre. »
En même temps qu’elle parle, notre oratrice fait avec ses doigts des étincelles. Au rythme de ses mots, selon ce qu’elle raconte, de ses mains elle fait éclater des décharges blanchâtres, crépitantes de diverses grosseurs ou durées. Ses récits se texturent sous nos yeux ; je l’ai dit souvent, et les gens ici reprennent l’expression allègrement — ça, ça m’a fait plaisir. D’ailleurs, depuis que c’est elle qui performe les messes, on y vient tous de plus en plus, même aux plus banales et simples, car c’est émouvant de voir l’oratrice. Elle est un vent de fraîcheur ici, avec sa manière singulière de raconter les histoires que l’on connaît déjà pourtant toutes ; celle d’Alma résonne aujourd’hui différemment. On ne s’y ennuie plus, d’être parmi ces histoires, on veut être là, l’oratrice nous vitalise, que je dis aussi, ça donne envie de continuer.
Si je suis honnête, c’est assez dur de retranscrire tout ce qu’on y voit et vit, aux services de la nouvelle oratrice. C’est franchement beau ce soir, ce qu’elle déclame et fait de ses mains pour la messe de minuit de l’été, je ne sais pas quoi dire de plus et mieux, désolé.